G�n�ration "Zapping": nouveau casse t�te de la direction des ressources humaines

Fr�d�ric KohlerFr�d�ric Kohler
Trainees & Training Manager
BNP Paribas

Au printemps dernier, je me suis rendu dans un complexe cin�matographique, pour voir Volver, le dernier film de Pedro Almodovar.
Alors que j'attendais, dans la salle allum�e, le d�but de la s�ance, je vois arriver trois jeunes �tudiants, rencontr�s derni�rement � un forum �tudiant. Un bref salut et ceux-ci s'installent non loin de moi.
La projection commence. Au bout de 15 minutes, toute ma rang�e doit se lever, pour laisser passer nos trois universitaires, qui quittent la salle.
Je les retrouve � la fin du film, discutant entre eux, hilares. Un peu surpris, je leur demande pourquoi ils ont d� quitter la salle. Rien de grave, le film ne leur plaisait pas et ils avaient d�j� chang� deux fois de salle, pour finir par un film d'action, dont j'ai oubli� le nom.

Cette anecdote, sur ce mode de fonctionnement interdisant a priori et � tout jamais � ces jeunes gens intelligents d'acc�der � des domaines de connaissance exigeant des pr�-requis un tant soit peu fastidieux ou � des plaisirs n�cessitant un minimum d'effort, m'a interpell� longtemps.
Elle est �galement � l'origine de ma r�flexion sur les relations entre le monde de l'entreprise et les jeunes collaborateurs.

G�n�ration "Zapping": mythe ou r�alit�

Il est fr�quent d'entendre nommer cette nouvelle g�n�ration la g�n�ration "Zapping", faisant suite, en cela, � la "Bof" g�n�ration. Toute g�n�ralisation est souvent une caricature. Mais qu'en est-il vraiment ? Ces jeunes de 18-25 ans sont-ils vraiment diff�rents de la g�n�ration pr�c�dente, ont-ils incontestablement un raisonnement, des valeurs et des pratiques qui les rendent difficiles � appr�hender par les seniors ou s'agit-il, simplement, de l'�ternel et virtuel conflit de g�n�ration ?

Force est de constater pourtant que ce Zapping prend de nombreuses formes. Le Zapping t�l� est le plus �vident, mais on peut mentionner, aussi, le Zapping sportif, culturel, affectif et professionnel : comme si les raisons de ce besoin de changement �taient si profondes qu'elles touchent tous les aspects de la vie sociale et personnelle des jeunes adultes.

Les causes, le plus souvent �voqu�es, sont un changement de r�f�rentiel de valeurs. Parmi ces valeurs remises en question, nous pouvons �noncer, sans risque, l'engagement, la fid�lit�, le go�t de l'effort, la patience ou la pers�v�rance. Les jeunes ont peur de s'engager, ils redoutent devoir le faire et repoussent le moment critique � plus tard.

C'est vrai sur le plan affectif, mais �galement sur les plans professionnel et social. Cela ne veut pas dire que les jeunes sont moins g�n�reux ou moins courageux que leurs ain�s. Non, simplement, ils craignent de voir leur libert� entrav�e.

La fid�lit� est, elle aussi, remise en question par les jeunes. Leurs pr�d�cesseurs l'avaient d�j� bien mise � mal au point de vue affectif. Mais ce qui est nouveau, c'est que cette g�n�ration n'est plus fid�le non plus � ses idoles, � ses mod�les, � ses marques et m�me � ses m�decins ou ses amis. Comme si la fid�lit� �tait un obstacle � la r�alisation de soi, � la libert� totale � laquelle cette g�n�ration aspire.

La patience, enfin, et le go�t de l'effort sont, eux aussi, battus en br�che. C'est l'�re du tout, tout de suite, du plaisir imm�diat et du fun : concepts totalement incompatibles avec ceux de l'effort et de la r�alisation dans la dur�e. La pers�v�rance est une valeur devenue obsol�te et il est devenu commun de pr�f�rer changer de projet, en cas de difficult�, que de persister et chercher � d�passer l'obstacle, en en retirant une satisfaction profonde, li�e � la victoire sur l'adversit�. Il ne s'agit pas d'un jugement, mais bien d'un constat et cette g�n�ration n'a pas plus tort ou raison que les pr�c�dentes. Simplement, elle est diff�rente et nous devons nous demander pourquoi, quels sont les ressorts profonds de cette modification de paradigme.

On peut �mettre deux hypoth�ses, quant aux causes possibles de ce changement. D'abord, la r�volution multim�dia a op�r� une modification radicale de son espace-temps. Ensuite, le monde laiss� � cette g�n�ration par la mienne est moins beau que celui que mes ain�s m'ont l�gu�. Il en r�sulte, de la part des jeunes, une conscience aigu� de la r�alit�, la fin des utopies et l'adoption d'une impatience cynique.

En effet, la t�l�vision num�rique, Internet, la t�l�phonie mobile ont transform� les jeunes en citoyens d'un monde virtuel. L'acc�s instantan� � une infinit� d'informations a boulevers� leur perception du temps et des distances, les a habitu�s � assouvir imm�diatement et sans effort leurs d�sirs de voyage, de rencontre et de d�couverte, dans un univers totalement virtuel.

Parall�lement, le monde r�el, dans lequel ces jeunes vivent, s'est souvent r�v�l� d�cevant, voire d�primant. Ils sont n�s avec le sida, ont grandi avec le ch�mage et ont d�couvert un monde o� les in�galit�s vont croissant et o� le progr�s technologique ne s'accompagne plus d'un accroissement du bien-�tre. Les v�rit�s, auxquelles nous avons longtemps cru, se sont �vanouies peu � peu et nos mod�les ont montr�, tour � tour, leurs limites.
De ce monde d'incertitude, les jeunes d'aujourd'hui en ont tir� les cons�quences, faisant leur l'adage suivant: "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras" et ce tant au niveau personnel que professionnel.

Au niveau professionnel, les d�buts ont souvent �t� laborieux et les esp�rances parfois d��ues. Mes mentors me disaient : "la chance sourit aux audacieux" ou encore "patience et longueur de temps font plus que force ni que rage". J'ai suivi leurs pr�ceptes et ne peux que m'en r�jouir, mais, aujourd'hui, je suis bien oblig� de reconna�tre que ces proverbes moralistes n'ont plus beaucoup d'�cho. Que dire � ces jeunes dipl�m�s Master qui gal�rent de stages en stages et de contrats � dur�e d�termin�e en contrat � dur�e ind�termin�e en qu�te de ce Graal que repr�sente le contrat � dur�e ind�termin�e (CDI).

Comment leur parler de patience et de pers�v�rance, quand le mythe de �l'emploi � vie� s'est dissout dans la globalisation ? A la classique courbe en "S" de la carri�re que nous avons tous v�cue, nous autres les seniors, on oppose une carri�re en dents de scie, avec changements garantis de m�tier, d'entreprise, de niveau de responsabilit�s et, m�me, de niveau de r�mun�ration. Ce n'est donc plus une carri�re que les jeunes doivent g�rer, mais plusieurs carri�res. L'analogie avec la vie affective (au sein de familles recompos�es), initi�e par leurs parents, est, � ce titre, remarquable.

Nos mod�les n'existant plus. Il n'est donc pas �tonnant de voir les jeunes s'adapter, faire preuve d'intelligence et de r�elle prise de conscience �conomique et sociale, en exigeant simplement que la somme de leurs diff�rentes carri�res successives soit �quivalente, en int�r�t et reconnaissance, � la carri�re dont nous avions l'habitude jusqu'� peu. Pour cela, il convient que les phases d'apprentissage et de mise en route soit raccourcies et les mont�es en puissance acc�l�r�es. Il ne s'agit donc pas d'une impatience intrins�que de leur part, mais bien d'une cons�quence d'un Zapping professionnel que nous leur avons impos�.

Partant du fait que ce postulat n'est pas pr�t de changer, il convient de s'int�resser aux nouveaux ressorts de la motivation de la nouvelle g�n�ration, afin de pouvoir minimiser les erreurs d'interpr�tation de ses comportements, dans le monde de l'Entreprise. Ses aspirations sont parfois contradictoires, mais elles sont le reflet d'une g�n�ration qui ne l'est pas moins.

  • La "Qu�te de sens": les jeunes ont besoin de savoir pourquoi ils font les choses et non seulement comment il faut les r�aliser. Ce n'est pas nouveau, mais cela tend � prendre une importance croissante.
  • Le "Life Balance": cet �quilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. En effet, les jeunes ne sont plus pr�ts � "sacrifier" leur vie personnelle pour une vie professionnelle, devenue hypoth�tique et ne permettant pas toujours de se r�aliser pleinement.
  • Le "Confort Imm�diat": cette exigence n'est pas � n�gliger, dans les processus de fid�lisation. En effet, cette sensibilit� aux conditions mat�rielles pr�sentes est directement li�e au pseudo-concept d'impatience, discut� plus haut.
  • L' "Acc�s � la Formation": puisqu'ils auront plusieurs carri�res et que la gestion de celles-ci leur incombe, les jeunes veulent, en contrepartie, avoir acc�s � la formation continue, gage unique de leur employabilit� future. La formation devient alors un �l�ment de choix entre les entreprises.
  • La "Culture d'Entreprise": directement li�e � la qu�te de sens, la culture d'entreprise prend de plus en plus d'importance, pour peu que celle-ci soit r�elle et non de simples mots jet�s sur une charte.
  • La "R�mun�ration au m�rite": puisque les carri�res sont courtes et multiples, la notion d'anciennet� n'existe plus. D�s lors, la nouvelle g�n�ration attend de pouvoir �tre r�mun�r�e sur la base de ses r�alisations pr�sentes et non sur celle d'un parcours qu'elle ne r�alisera de toute fa�on pas.
  • La "Prise de Responsabilit�s": les jeunes ont soif de responsabilit�s. Comp�tents et motiv�s, ils souhaitent pouvoir prouver leur valeur le plus rapidement possible. Les entreprises, qui leur font confiance en leur donnant rapidement des responsabilit�s, seront privil�gi�es, m�me si, en retour, l'engagement et la fid�lit� ne seront pas per�us, par les jeunes, comme une contrepartie incontournable.
  • La "Diversit� des Missions": les jeunes ont peur de s'ennuyer dans la routine. Ils veulent du "fun". Ils pr�f�rent la phase d'apprentissage � celle de la ma�trise. Ils exigent de passer souvent d'une activit� � une autre.
  • La "S�curit�": dernier �l�ment de motivation, le besoin de stabilit�, de p�rennit�, dans un monde en perp�tuelle instabilit�. Une attente qui peut m�me, dans certains cas, �craser tous les autres facteurs de motivation ; on a vu des jeunes accepter des postes ne correspondant pas � leur aspiration, mais qui se pr�sentaient sous la forme d'un C.D.I. � m�diter.

    On l'a dit, ces facteurs de motivations sont aussi divers que contradictoires. Mais pour r�sumer, je reprendrais la phrase de Goethe: Vous n'�tes pas les enfants de vos parents, vous �tes les enfants de votre temps.

Ces jeunes ne sont que le reflet du monde qu'ils ont connu depuis qu'ils sont n�s, il y a 20 ans. Ils sont donc tout � la fois Narcisse, Janus et Dionysos.

Cons�quences sur les strat�gies RH en mati�re de gestion individuelle

Une fois le constat �tabli, les causes recens�es et les leviers identifi�s, les Responsables des Ressources Humaines se doivent d'agir. Car les outils traditionnels se r�v�lent sans prise sur cette population. Analysons donc pourquoi les outils de gestion globale sont inefficaces et tentons d'imaginer des solutions plus pertinentes.

Pour cela, les Directions des Ressources Humaines (DRH) doivent r�solument s'inscrire dans des d�marches de gestion de la performance, c'est � dire non seulement dans des processus de gestion des comp�tences, mais �galement de gestion de la motivation. Les facteurs de la motivation �tant individuels, cette gestion ne peut �tre collective et doit �tre diff�renci�e, si ce n'est individualis�e.

Il est tr�s difficile de mod�liser la gestion de la motivation. On peut tenter de le faire, par des enqu�tes de climat social par exemple, en agr�geant les r�sultats des entretiens d'�valuation professionnelle, des entretiens de carri�re, de d�part, de mobilit�, de recrutement, etc. On s'aper�oit vite cependant qu'une moyenne ou une m�diane ne sert pas � grand chose, lorsque l'on parle de motivation des collaborateurs, tant les facteurs de motivation n'ont rien en commun entre ceux d'un quinqua p�re de famille avec 15 ans de "bo�te" et ceux d'un jeune dipl�m� "Master" de 25 ans, qui vient d'int�grer l'entreprise.
Cela veut donc dire que, agissant dans le but de d�clencher des comportements particuliers, les RH, comme les sp�cialistes du Marketing l'ont fait avant eux, vont devoir adapter leur processus � leur client�le, pour lui adresser une communication sp�cifique et diff�renci�e, faisant appel � ses �l�ments de motivation.

Cette approche, issue de la r�volution du Marketing des ann�es 60, am�ne les D�partements des Ressources Humaines � devoir accepter de mettre en place une gestion diff�renci�e des ressources humaines de l'entreprise. A ce jour, la strat�gie des RH s'articule sur deux axes: une gestion collective, pour tous les processus transversaux, et une gestion individuelle, pour tout ce qui touche au suivi de la carri�re. On pourrait donc croire qu'une gestion individuelle pr�suppose une gestion diff�renci�e. Il n'en est rien. En effet, elle n'est le plus souvent que la d�clinaison mod�lis�e d'une gestion collective historiquement uniforme. De ce fait, les m�mes ressorts sont utilis�s pour tous les collaborateurs (� l'exception des cadres dirigeants, cela va sans dire) et le m�me discours est v�hicul� en direction de toutes les populations. Or, expliquer une politique de formation ambitieuse � un senior a le m�me impact que vanter la caisse de pension � un jeune dipl�m�, c'est-�-dire nul!

Il est donc urgent de substituer � la gestion individuelle une gestion individualis�e, une v�ritable gestion diff�renci�e, qui permette de jouer sur les �l�ments de motivation propres � chacun. C'est le nouveau d�fi des DRH. Cela ne n�cessite par forc�ment plus de ressources, mais une remise en question des dogmes en la mati�re. Dans le nouveau syst�me de valeurs, l'�quit� devra remplacer l'�galit�, la coh�rence se substituer � l'uniformit�, la pertinence prendre le pas sur la conformit� et la responsabilisation d�tr�ner l'assistanat. Cela demandera audace et courage.

Cette strat�gie va amener les DRH � d�velopper de nouvelles comp�tences et d'autres outils: Les gestionnaires RH vont devoir se professionnaliser encore plus, en int�grant cette mutation et en la transposant dans leur quotidien.
Pour la gestion collective, il va falloir retravailler et complexifier un peu plus la pyramide de Maslow, relative � la satisfaction des besoins. Il ne suffira plus de se "benchmarker" � ses concurrents en termes de salaire moyen par poste, mais bien de mettre en �uvre des processus permettant une action diff�renci�e sur les facteurs de motivation.

Pour la gestion individuelle, de nouvelles comp�tences vont devoir �tre d�velopp�es, tant dans le domaine de la d�tection des facteurs r�els de motivation que dans l'activation des leviers � disposition pour agir sur cette motivation, afin de participer � l'accroissement de la performance individuelle, dans la dur�e.

Au niveau de la communication enfin, les DRH vont devoir repenser leur traditionnelle s�ance d'information ou leur bo�te � id�es en face des ascenseurs. Il va falloir passer d'une communication formelle �top-down� � l'instauration de communaut�s d'int�r�ts interactives, o� le collaborateur est au c�ur du syst�me, aussi bien en temps que "producteur" que "consommateur" d'information. Des projets Intranet de portail RH, de type "http:\\moi.com", qui priorisent ce qui int�resse le collaborateur � travers une information "pull", elle aussi diff�renci�e, sont de nature � participer � cette �volution.

Conclusion: la g�n�ration "Zapping" est une chance pour les DRH

Loin de constituer un danger pour l'entreprise et son d�partement des Ressources Humaines, cette nouvelle g�n�ration est un v�ritable r�v�lateur d'une �volution du monde de l'entreprise. En repositionnant les aspirations personnelles au c�ur de leur rapport avec leur employeur, les jeunes 18-25 ans ne font qu'anticiper l'instauration de nouvelles relations de travail.

Car ne nous trompons pas, dans une dizaine d'ann�es, ce ne sera pas une mais deux g�n�rations desquelles les RH devront g�rer les aspirations sp�cifiques. Et encore, on s'aper�oit que bon nombre de collaborateurs de la g�n�ration pr�c�dente ose, d�sormais, aborder certains sujets jusqu'alors tabous, en s'engouffrant dans la br�che ouverte par les nouveaux venus. On voit des p�res de famille demander des temps partiels pour �lever leurs enfants, des cadres sup�rieurs solliciter une ann�e sabbatique pour suivre une formation ou r�aliser un projet personnel ou encore des experts refuser des postes d'encadrement, pour ne pas h�riter du stress inh�rent � la fonction.
Merci donc les jeunes, pour la le�on donn�e: elle constitue d�cid�ment pour nous une chance d'�volution positive. Car mettre en �uvre une v�ritable gestion individuelle et diff�renci�e des facteurs de motivation sera bien un des enjeux prioritaires des ann�es � venir, pour attirer et fid�liser les talents.

Cela s'av�rera d'autant plus vrai, lorsque le march� de l'emploi se sera retourn� en faveur des employ�s, du fait de l'�volution d�mographique du "Pappy boom"... Et attention, cette �re a d�j� d�but�. Il est donc urgent d'agir.