« Génération Y » by a « late Baby-Boomer »

Par Agnès Gabirout Perron, Head of Staffing and Development, World Economic Forum

«Generation Y», «Net Generation», «Echo Boomers», «Millennials», «Entitled Generation», «Generation Zapping»... les expressions utilisées par les démographes, les sociologues, les médias, les spécialistes de marketing et véhiculées par la culture populaire ne manquent pas pour désigner la génération née entre 1980 et 2000. Joli paradoxe alors que cette génération, précisément, ne supporte pas d’être rangée dans une catégorie !

Historiquement, chaque groupe d’âge a eu à coeur de se différencier du précédent, d’inventer son propre système de valeurs et de fonctionnement dans le monde du travail. Le tableau ci-dessous (extrait de Generations at Work by Ron Zemke, Claire Raines, Bob Filipczak) en fait la synthèse.

Le challenge des responsables RH est aujourd’hui de créer et faire grandir des équipes dans lesquelles vous trouverez votre place et cohabiterez de manière harmonieuse avec vos aînés. Et de mettre en place les outils permettant à chaque génération d’avoir conscience de ses atouts et différences respectives, et d’apprendre le meilleur des autres.

Attention ! « High Potential » !

Votre génération se caractérise tout d’abord par son intelligence. Don Tapscott dans son ouvrage « Grown up digital » indique que le QI moyen a augmenté de 3 points tous les 10 ans depuis la fin de la seconde guerre mondiale et que vous n’avez jamais été aussi nombreux à étudier à l’université. Il ajoute que des études ont montré que les facultés visuelles et de représentation dans l’espace ont évolué. Vous avez également des dispositions pour mener toutes sortes d’activités en même temps : « chatter », regarder la télévision d’un oeil, surfer sur Internet et faire des devoirs… tout en passant rapidement de l’une à l’autre.

Nés avec les nouvelles technologies, Internet, téléphones mobiles, lecteurs MP3, jeux vidéo sophistiqués, vous savez accéder rapidement à l’information, à des ressources multiples, ce qui vous rend très productifs. Vous êtes autonomes et avez l’habitude de vous débrouiller seuls. Pendant votre enfance, vous avez participé à des activités structurées qui vous ont permis d’acquérir très tôt des qualités d’esprit d’équipe et de leadership.

Vous êtes définitivement des citoyens du Monde. Vos parents vous ont appris à voyager dès votre plus jeune âge, à parler plusieurs langues. Vous êtes plus mobiles, plus divers, plus adaptables et vous avez naturellement une grande tolérance pour les différentes cultures, modes de vie, comportements. Votre vie communautaire via les réseaux sociaux online renforce cette caractéristique, vos connections sont littéralement planétaires.

Cette ouverture d’esprit vous permet d’avoir une meilleure conscience de ce qui se passe autour de vous, d’être plus soucieux d’éthique, de citoyenneté, d’écologie, de collaboration, de solidarité. Jamais nous n’avons vu, dans notre travail de recrutement, autant de CV valorisant des expériences de travail « humanitaire », « volontaire », «bénévole».

Votre style de communication aussi est différent: plus direct et franc, allant à l’essentiel, il s’embarrasse peu des conventions et des statuts. Vous n’hésitez d’ailleurs pas à importer dans la vie professionnelle le vocabulaire et les expressions empruntés à votre communication SMS, MSN, Twitter ou Facebook. Les « Salut », « Hello » et prénoms au début de vos emails tendent également à réduire la distance intergénérationnelle.

Sur CV, l’excellence de votre parcours éducatif et votre potentiel sautent aux yeux. Diplômes universitaires (plusieurs), variété des stages, expériences professionnelles et personnelles (dans des pays ou des continents différents), maitrise des technologies les plus pointues, bi, tri ou quadrilinguisme, hobbies pratiqués à haut niveau, connaissance de soi, tout est là.

Et lorsque nous, professionnels de gestion des Ressources Humaines (d’une autre génération !), vous rencontrons pour des entretiens de recrutement nous avons matière à pousser des oh ! et des ah ! Pourtant, comment se fait-il qu’après vous avoir recruté, nous restions si souvent sur notre faim ?

Le revers de la médaille

Votre préférence pour la diversité, pour la variété des jobs et des expériences, et pour l’immédiateté a effectivement un revers. Les notions de passion, d’implication, d’engagement total dans la durée ne sont pas vraiment ce que vous valorisez. Votre faible tolérance à tous les types de frustration (vous donnez souvent l’impression que vous voulez tout, tout de suite) engendre finalement beaucoup d’insatisfaction, et un possible cercle vicieux de changements à répétition.

Lorsque vous aspirez à évoluer très rapidement, même si un certain nombre de vos compétences et aptitudes sont transférées, vous allez souvent devoir refaire vos preuves, recommencer à zéro. En privilégiant ces changements rapides, vous pouvez passer à coté du principe de base de la motivation et du cercle vertueux, plus je m’investis, plus je développe mes talents, plus j’ai de l’énergie, du plaisir, plus je développe des synergies, plus je réussis, plus je suis reconnu par mes pairs, apprécié par ma hiérarchie et promu !

Vous n’expérimentez que rarement cette notion d’être « in the flow », décrite par Mihaly Csikszentmihalyi dans son livre « Vivre, la Psychologie du Bonheur » : ces moments de joie et de satisfaction dans votre vie qui ne sont pas associés à de simples « loisirs » mais à un certain état psychologique, caractérisé par un sentiment de fluidité mentale et d’intense concentration sur des tâches qui mobilisent toutes vos compétences.

Parfois marqués par les expériences douloureuses de vos parents qui ont dû lutter pour tenter de maintenir un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, vous pouvez aussi avoir développé des stratégies classiques d’évitement : ne pas vous décider trop tôt pour une relation amoureuse de longue durée, par anticipation du divorce potentiel ; ne pas être dédié à un travail ou à une entreprise, parce que vous avez vu vos ainés s’impliquer beaucoup professionnellement et ne pas forcément en retirer que des bénéfices (licenciement, chômage, pression liée à la globalisation, mise à la retraite anticipée, burn-out, maladies). Certains d’entre vous ont l’impression qu’en tant qu’enfant, vous avez été sacrifiés au profit de la carrière de vos parents, et il est compréhensible que vous n’ayez aucune envie de reproduire ce modèle. Vous ne voulez pas avoir d’enfants trop tôt (crainte des responsabilités à assumer). Les jeunes femmes qui travaillent autour de moi ont, à ce sujet, un slogan qui en dit long : « petits enfants, petits soucis, grands enfants grands soucis, pas d’enfants, pas de soucis ! ».

Les engagements peuvent être appréhendés comme des contraintes, des sources possibles de souffrance, des entraves à votre sacro sainte liberté et indépendance (prolongation à l’infini de la vie estudiantine), et non pas comme des sources d’enrichissement, de développement, de stabilité, de durabilité. Nous, qui vous gérons en entreprise, avons alors l’impression que vous vous préservez, que vous vous économisez, que vous préférez « assurer » quand nous aimerions vous voir « lâcher vos coups ».

Plan de développement pour un « G en Y »

Si nous considérons les différents stades de développement personnel de l’adulte, vous êtes dans la tranche d’âge de l’idéalisme, des engagements passionnés, de l’investissement total, de l’énergie dépensée sans compter, des choses faites « à fond ». Ce n’est que plus tard lorsque vous fondrez une famille que viendra le temps du rééquilibrage des intérêts, de la mesure, de la modération, des choix entre la part investie dans le monde professionnel et celle consacrée à la sphère privée…

Par ailleurs, votre agilité intellectuelle, votre sens de l’observation, de l’analyse, votre adaptabilité, vos références variées au niveau mondial doivent vous aider à ne pas vous construire en opposition aux générations qui vous ont précédées. à ne pas être « contre », mais « aller vers » un nouveau modèle. Au lieu de vous braquer, de vous rebeller par rapport à l’exemple de vos parents et de le rejeter en bloc, vous gagneriez à repérer et à adopter ce qu’il y a de bon dans les fonctionnements de chaque génération, ce qui a marché, et à y ajouter vos valeurs, croyances, style et touche personnelle.

Vos aînés vous reprochent d’être revendicatif, d’avoir des exigences irréalistes, voire d’être attentiste et de considérer que la société vous doit quelque chose. Vous devez réaliser que vous êtes le propre acteur de votre futur. Votre développement dépend essentiellement de vous-même, de votre attitude, de votre sens des initiatives, de votre détermination, de votre volonté, de votre curiosité, de votre professionnalisme et votre ouverture d’esprit pour faire évoluer votre propre poste.

Il s’agit finalement d’acquérir un état d’esprit particulier qui vous permet de ne pas sombrer dans la monotonie. Vous avez toujours le choix de décider de faire votre travail de manière différente, de renouveler votre intérêt en proposant de nouvelles idées, en démarrant un projet particulier, en participant à des conférences, en élargissant votre réseau, etc. Et d’accepter que dans toute activité professionnelle il existe des tâches contraignantes, peu valorisantes mais utiles et importantes.

Pour progresser, vous pouvez adopter une logique de type « qu’est ce que je peux mettre en oeuvre pour obtenir ce que je souhaite ? » plutôt que de compter sur le supérieur hiérarchique, l’employeur ou la société, pour vous aider à réaliser vos rêves.

De toute évidence, votre parcours professionnel ne sera pas linéaire mais erratique et éclectique et votre progression ne sera pas forcément de type hiérarchique mais basée sur la diversité des apprentissages, des relations, la flexibilité et l’enrichissement personnel. Dans le cadre du travail vous avez horreur de la « routine » et vous entretenez cette idée que l’on « fait le tour » d’un poste en 2 ans. Ce concept est une création propre à votre génération et ne correspond à rien de scientifique, ni même de naturel, puisque les cycles de développement de l’homme sont de 7 ans.

Des autres générations qui vous entourent, vous pouvez apprendre que de bonnes choses peuvent se produire avec le temps. Et qu’il peut y avoir un sens à construire son parcours étape après étape, à avoir un fil conducteur, une continuité, une cohérence. Et que la patience est une qualité qui paye.

Votre génération rêve d’une vie au travail « cool », de relations d’équipe « sympas », de projets « fun ». Mais la vie professionnelle, et la vie tout court sont aussi faites d’efforts, de persistance, de sacrifices et de souffrances. Et ce sont autant d’occasions de s’améliorer, d’apprendre, de se connaître, de comprendre les autres, de grandir.

Tromper l’ennemi

Les générations qui vous précèdent n’en finissent pas d’élaborer des stéréotypes négatifs et des généralisations à votre sujet et ponctuent leurs analyses et commentaires par un « c’est typique de la « Gen Y » ». Elles expriment souvent de cette manière leur admiration pour tout ce que vous vous autorisez et qui n’étaient pas permis lorsqu’elles avaient votre âge. Il y a inconsciemment de la jalousie et de la nostalgie dans cet empressement à vous enfermer dans la catégorie « Gen Y ». Ne les laissez pas faire ! Surprenez-les ! Faites-les sortir de leurs préjugés !

Pour cela, dans vos idéaux, croyances, comportements, gardez toutes les options ouvertes. Ne soyez pas mono dimension. Utiliser pleinement votre immense potentiel. Prenez des personnes d’autres générations pour modèles, mais ne les prenez pas dans leur totalité car c’est ce qui vous amène ensuite à les rejeter. Apprenez à « les acheter » par morceau. Sachez repérer tout ce qui réussit bien à vos modèles ou mentors. Tout ce qui vous plait chez eux et que vous aimeriez ajoutez à ce que vous êtes.

A quelque chose malheur est bon !

Votre génération a grandi jusqu’à présent dans un environnement de plein emploi, d’abondance, de croissance, d’accessibilité aux ressources, à la consommation. Elle n’a pas eu l’occasion d’expérimenter le manque, la privation, la difficulté, l’attente qui crée une tension, qui donne une envie.

Avant même que la crise économique actuelle ne survienne, les mots « durable », « sustainable » avaient envahi tous les secteurs de recherche et d’activité. Signe que votre génération et les autres étaient en train de prendre conscience qu’il fallait que quelque chose change. Ces mots nous annoncent le début d’un cycle nouveau faisant place aux valeurs de travail en profondeur, de construction dans la durée, de capitalisation, de pérennité, de solidarité.

Ce contexte de crise va vous amener à réfléchir à vos priorités et vous ouvrir à une attitude de « gratitude ». C’est-à-dire apprendre à apprécier un peu plus ce que vous avez. Cette prise de conscience est déjà perceptible en entretien de recrutement lorsque vous analysez vos motivations. Beaucoup d’entre vous mesurent la chance d’avoir eu accès à des études universitaires et manifestent l’envie d’en faire quelque chose pour les autres, de redonner à la société.